Par Hicham Alaoui — Les élections législatives, communales et régionales au Maroc ont infligé une défaite cuisante au parti Justice et Développement (PJD, parti au pouvoir), qui a dirigé la coalition gouvernementale durant deux mandats consécutifs. Une autre reconfiguration de la scène politique dans le Royaume se profile. Décryptage de politologues marocains approchés par APA.Les premiers résultats provisoires des élections législatives et locales qui se sont déroulées mercredi 8 septembre, donnent le Parti de la justice et du développement (PJD) du chef du gouvernement sortant, Saad Eddine El Othmani, largement perdant.
Selon Mohamed Bouden, politologue et président du Centre Atlas d’analyse des indicateurs politiques et institutionnels, « les élections générales du 8 septembre n’ont pas été seulement l’expression des voix des citoyens et du corps électoral mais elles étaient porteuses de messages politiques profonds ».
« Il parait que le PJD qui a toujours œuvré pour s’imposer en tant que force politique a obtenu des résultats imprévus », a-t-il constaté, relevant que le PJD, est le parti dont la puissance électorale s’est évaporée de même que sa popularité s’est affaiblie de façon « dramatique ».
Il va sans dire que le PJD qui est apparu comme une puissance politique en 2011 est devenu épuisé politiquement après 10 ans, a fait remarquer l’académicien, estimant que que la majorité des électeurs se sont prononcés pour un vote sanction du PJD à travers le soutien exprimé au trio Rassemblement National des Indépendants (RNI), Parti de l’Istiqlal (PI) et le Parti Authenticité et Modernité (PAM) et dans un moindre degré l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP).
Pour M. Bouden les causes principales de l’échec retentissant du parti au pouvoir est le fait que cette formation politique « n’a pas grand-chose à présenter après avoir été épuisé par 10 ans au pouvoir ». Aussi, le parti a failli dans ses sorties médiatiques en manquant de coordination et de concertation au sein même de ses structures organisationnelles.
Cette véritable déroute du PJD est attribuée également au contexte régional dans lequel la position de l’islam politique est affectée et il y a eu des doutes en la capacité du parti de mener pour la troisième consécutive le paysage politique, a-t-il expliqué.
Selon lui, les élections ont fait ressortir une autre carte politique et un paysage politique marqué par la triple polarité qui a des dénominateurs communs et dispose de spécificités qui la distingue.
« J’estime que le parti Justice et Développement n’a pas pu se présenter aux élections sans l’aide de sa génération fondatrice et de ses dirigeants de la première ligne, et il n’a pas travaillé pour créer une nouvelle génération de jeunes ».
Et d’ajouter que le PJD devrait commencer à construire une nouvelle génération. L’actuelle génération a atteint sa limite. Parmi les constats, on peut citer aussi la défaite du secrétaire général du Parti et la montée des noms les plus en vue du parti dans certaines circonscriptions sur la base du quotient électoral.
D’après le politologue Mohamed Bouden, le parti de la lampe « doit faire de l’autocritique et ne pas aller vers les solutions les plus faciles liées à la contestation des élections ».
« Il y a des raisons objectives à cette défaite ou ce qu’on peut l’appeler la fin du miracle du Parti, dont les acquis se sont évaporés, donnant ainsi naissance à une nouvelle carte politique au Maroc », a-t-il décrit.
Pour sa part, le professeur de droit public à l’Université Mohammed V de Rabat Abdelhafid Adminou, a souligné que les élections générales au Maroc ont débouché à une reconfiguration différente de la scène politique.
« On peut dire que les résultats reflètent cet effort, qui est principalement lié aux candidats présentés par les trois partis politiques arrivés du scrutin (RNI, PAM et PI) et qui ont mené une importante campagne de communication et présenté des programmes électoraux réalistes notamment via les réseaux sociaux afin d’atteindre un plus grand nombre d’électeurs », a-t-il expliqué.
Pour ce qui est de l’échec spectaculaire du Parti de la Justice et du Développement, l’académicien l’a attribué au fait que cette formation politique a été victime de sa gestion au niveau gouvernemental pendant 10 ans. Cette gestion a été souvent critiquée par les citoyens et même de la part des partis formant la coalition gouvernementale », a-t-il fait observer.
Une panoplie de mesures prises par le PJD n’a pas été du goût de la population notamment celles ayant affecté le pouvoir d’achat du citoyen telle que la levée des subventions sur certains produits de base, ce qui a entraîné une hausse des prix, ainsi qu’un ensemble de mesures qui touchait la classe moyenne, notamment la réforme du régime de retraite, a précisé M. Adminou.
Ceci a été à l’origine ce vote punitif. Aussi, il ne faut pas oublier la nature des candidatures présentées par le secrétariat général du PJD. Ce dernier a validé des noms pour briguer un troisième mandat ou qui ont déjà géré les affaires gouvernementales, ce que l’électeur marocain n’a pas « apprécié ». Paradoxalement, le trio vainqueur de ces élections (RNI, PAM et PI) ont présenté de nouveaux candidats qui, pour séduire les électeurs, ont proposé des programmes qui proposent des solutions aux problèmes vécus par les citoyens, selon le professeur Abdelhafid Adminou.
Pour rappel, le parti du Rassemblement National des Indépendants (RNI) a remporté les élections législatives au Maroc en remportant 102 sièges, selon les résultats complets communiqués jeudi soir par le ministère de l’Intérieur.
La deuxième place est revenue au Parti authenticité et modernité (PAM) avec 86 sièges, suivi par le parti de l’Istiqlal (PI) avec 81 sièges, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) avec 35 sièges, le Mouvement populaire (MP- 29 sièges), le Parti du progrès et du socialisme (PPS) avec 21 sièges, l’Union constitutionnelle (UC) avec 18 sièges, et le Parti de la justice et du développement (PJD) avec 13 sièges.
Le Mouvement démocratique et social (MDS) remporte 5 sièges, le Front des forces démocratiques (FFD) 3 sièges, l’Alliance de la fédération de gauche 1 siège et le Parti socialiste unifié (PSU) 1 siège.
Ces élections ont enregistré un taux de participation de 50,35% au niveau national contre 42 % en 2016.
Le scrutin a vu la participation de 8.789 676 électeurs hommes et femmes, soit une hausse de plus de 2 millions d’électeurs par rapport aux élections législatives de 2016, ce qui traduit l’importance que le citoyen marocain attache à cette échéance électorale et aux différentes institutions élues.
Selon le ministre de l’Intérieur, Abdelouahed Laftit, le déroulement de l’opération de vote a eu lieu en général dans des circonstances « normales » dans l’ensemble des régions du Royaume, à l’exception de quelques cas « isolés » qui n’ont pas affecté le déroulement du vote.
Ces élections ont eu lieu dans le plein respect du secret du scrutin et de la crédibilité du processus de dépouillement des voix en présence des représentants des listes de candidature, a-t-il affirmé.