Après que l’Alliance du Sahel a annoncé son retrait complet du groupe de la CEDEAO le 29 janvier et son rejet de l’échéance présentée par les membres du groupe à la mi-décembre dernier, des signes d’échec du projet d’intégration ouest-africaine sur lequel la CEDEAO a été fondée ont commencé à apparaître, et il apparaît que le groupe est en voie de désintégration à cause des fractures internes qualitatives dont il est témoin, notamment suite à l’émergence de nouveaux pays au sein du groupe qui soutiennent les principes et les décisions de l’AES.
Le Togo, le Sénégal et le Ghana, membres de la CEDEAO, ont récemment montré un rapprochement sans précédent avec les pays de l’Alliance Sahélienne, que de nombreux experts ont interprété comme la désintégration prochaine de l’organisation, devenue l’objet de critiques au sein de ses membres.
La position des pays de l’Alliance sahélienne s’est également fortement renforcée récemment après que le Tchad a intensifié sa coopération avec les pays de l’alliance, notamment après avoir rompu ses liens avec l’ancien colonisateur. Il est possible que ce dernier rejoigne l’AES dans un avenir proche, en particulier après que certaines parties ont appelé à la nécessité de le faire, comme le Parti panafricaniste du Tchad « PPT ».
Quant au Sénégal, son président, Bassirou Diomaye Faye, partage la même orientation idéologique que les dirigeants des pays de l’AES en matière du panafricanisme et de préservation de la souveraineté nationale, ce qui l’a poussé à annoncer fin novembre dernier la fin de la coopération militaire avec la France, et l’a contraint à retirer ses forces à partir du 31 décembre 2024. Dans ses discours, il n’a pas caché son admiration pour l’Alliance sahélienne et l’a saluée à de nombreuses reprises, la plus récente étant le Forum de Doha début décembre dernier, où il a déclaré que l’AES était devenue une réalité.
Parallèlement, lors de sa campagne électorale en avril dernier, Bassirou a critiqué à plusieurs reprises le groupe de la CEDEAO et estimé qu’il devait rompre avec l’hégémonie économique de Paris sur lui et adopter une monnaie commune autre que le franc unique africain affilié à la Banque centrale française.
Concernant le Ghana, depuis son élection à la présidence du Ghana le 7 décembre dernier, John Dramani Mahama a manifesté une volonté puissante de se rapprocher des Etats membres de l’Alliance sahélienne, et par conséquent, il a envoyé ses délégations pour inviter les dirigeants des trois pays pour participer à sa cérémonie d’investiture, en plus de nommer un envoyé spécial pour les pays de l’AES le 21 janvier, afin de renforcer la coopération avec les trois pays membres de l’alliance.
Plus audacieux qu’eux, le Togo, qui est allé plus loin de ça, lorsque son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a annoncé le 16 janvier dernier que son pays étudiait la possibilité d’intégrer à cette alliance stratégique des pays du Sahel, en ajoutant que cela relèverait des pouvoirs du président et du parlement du pays, et il a affirmé le soutien du peuple togolais à cette mesure.
Il convient de noter que le Togo et le Tchad faisaient partie des rares pays invités en mai dernier à participer à des exercices militaires conjoints avec le Burkina Faso, le Mali et le Niger « en vue du lancement d’opérations contre les jihadistes dans la région du Sahel ».
Concernant le sort incertain que subira la CEDEAO si le Togo s’en retire, Rinaldo Depagne, directeur adjoint Afrique à l’International Crisis Group (ICG), dit : »Si la CEDEAO perd un quatrième membre comme le Togo, avec son accès maritime, « on peut se demander dans quel état elle pourra subsister ».
De nombreux experts estiment que les raisons qui ont poussé ces pays, et d’autres pays comme le Tchad à se rapprocher de l’AES et à tenter d’y adhérer sont les multiples réalisations que cette alliance a achevés seulement un an après sa création dans les domaines sécuritaire, économique et diplomatique, contrairement à la CEDEAO , qui n’a pas réussi à réaliser le développement économique de la région de l’Afrique de l’Ouest et a échoué à éliminer le terrorisme malgré la disponibilité des capacités nécessaires et sa dépendance aux services de Paris, qui contrôle toujours ses décisions depuis cinquante ans après sa fondation.
Indicateurs et signes de réussite de l’AES
Le 22 de ce mois, les trois pays de l’AES ont convenu de former une force conjointe de 5000 soldats, dotée de capacités aériennes, d’équipements et de moyens de renseignement, qui sera bientôt déployée dans la région centrale du Sahel afin d’éliminer le terrorisme.
Cependant, le partenariat existant entre les trois pays ne se limite plus aux seuls aspects militaires et sécuritaires, qui étaient à l’origine de l’alliance entre ces pays, mais plutôt à la politique d’intégration entre les trois parties dans divers domaines économiques, culturels et politiques.
Le mois de novembre dernier, les trois pays ont annoncé la délivrance d’un passeport unifié, et sa circulation entre les pays de la confédération débutera à partir du 29 janvier de cette année. Par ailleurs, le système d’appel téléphonique et les papiers d’état civil seront également unifiés.
En outre, le 22 janvier 2025, le Conseil des ministres du Mali a ratifié les résultats de la réunion ministérielle de l’AES, tenue à Bamako le 16 janvier, au cours de laquelle plusieurs initiatives clés visant à accélérer le développement régional ont été adoptées et, parmi les décisions clés :
- Création d’une banque régionale d’investissement.
- Approbation d’un projet d’autoroute reliant Niamey à Bamako d’une longueur de 1.446 kilomètres.
- Approbation d’un plan de développement ferroviaire visant à améliorer la circulation entre les régions.
- Adoption d’un plan de développement de deux millions d’hectares de productions végétales et animales, pour répondre aux besoins croissants en matière de sécurité alimentaire.
- Lancement d’un projet de création d’une compagnie aérienne confédérale pour faciliter les voyages et promouvoir le commerce.
- Création d’un centre d’achat de produits de première nécessité afin d’améliorer l’accès aux biens de première nécessité.
D’autres mesures devraient être prises par les pays de l’alliance sahélienne, comme l’unification de la monnaie, qui permettra à l’alliance de faire correspondre ses progrès politiques avec son développement économique.
Indicateurs d’échec de la CEDEAO
De nombreux économistes européens et penseurs africains ont critiqué la CEDEAO sur de nombreuses questions qu’elle n’a pas réussi à traiter.
Le plus important d’entre eux est peut-être l’unification d’une monnaie spéciale pour les pays de l’organisation, similaire à l’éco-monnaie, qui n’a pas vu le jour depuis que l’idée a été proposée pour la première fois en 1999 en raison de la pression française sur certains des pays de l’organisation, et leur imposer le franc ouest-africain.
De nombreuses accusations ont également été portées contre le groupe, notamment lors de ses interventions militaires dans les conflits qui ont eu lieu dans les régions des États membres, pour avoir commis des violations majeures des droits de l’homme, notamment lorsqu’il est intervenu dans la guerre civile au Libéria.
D’autre part, la CEDEAO a adopté une politique de deux poids, deux mesures. Bien que le président togolais, Faure Gnassingbé, qui a pris le pouvoir par un coup d’État avec le soutien de l’armée en 2005, et que le groupe ait adopté des sanctions contre le Togo, il a été reconnu comme président légitime en 2010 et au-delà, il a assumé la présidence du groupe de la CEDEAO en 2017. Lorsqu’il s’agissait du Niger, et à la demande de la France, l’organisation a souhaité intervenir militairement dans le pays pour mettre à nouveau Mohamed Bazoum au pouvoir, mais il s’est ensuite rétracté en raison de l’annonce faite par les conseils militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger de leur retrait de la CEDEAO et de la signature d’un accord de défense commun.
En plus de tout cela, la plupart des pays de la CEDEAO souffrent d’un déficit économique important malgré leur possession d’énormes ressources naturelles, et cela est dû à la domination des pays occidentaux, menés par la France, sur l’économie de l’organisation et à leur pillage de la richesse de la région.
Conclusion
Face à l’échec catastrophique de la politique du groupe de la CEDEAO et aux progrès évidents du bloc nouvellement constitué, l’Alliance des États du Sahel, dont les membres ont réussi à se débarrasser du principal obstacle au progrès qu’est l’hégémonie française, il est évident que le groupe de la CEDEAO va connaître de nouveaux retraits, et la dissolution du groupe sera bientôt annoncée. Dans le même temps, l’AES est devenu un centre de gravité qui attirera dans un avenir proche un certain nombre de nouveaux membres, comme le Togo, le Sénégal, le Ghana et le Tchad.