28 novembre 1958-28 novembre 2018. Voilà 60 ans que le Tchad existe en tant République. Mais comment cette République a vu le jour ? L’homme politique et enseignant-chercheur, répond
Protectorat français en 1900, colonie française en 1920 dans le cadre de l’Afrique Equatoriale française, le Tchad a été proclamé République le 28 novembre 1958. Retour sur la création de cette République.
« A l’ origine, il y avait un Etat français qui était là. Et c’est cet Etat français qui s’est transformé pour donner une République. Qu’on le veuille ou non, le Tchad que vous avez est une création de la France. S’il n’y avait pas la France, il n’y aura pas un Etat moderne tchadien. Il ne faut jamais oublier ça ».
De la propriété des Français aux Tchadiens
Le territoire tchadien, pendant la colonisation, était la propriété des Français. Car, ils l’ont conquis au prix de leur sang pendant la conquête militaire. « Le fait même d’être créé par la guerre, on l’oublie souvent, mais ce sont les Français qui ont versé leur sang pour créer cet Etat », souligne J. Djimrangar Dadnadji. La bataille de Mont Niellim entre les troupes de Bretonnet et de Rabah en 1899, celle de Kousseri du 22 avril 1900, etc. ont causé de pertes en vie humaine considérables. « Et cet Etat que la France a construit avec son sang, il nous l’a délégué. Il nous l’a transféré en tant que République qui est un mode de gestion fondé sur la loi et l’égalité. Si vous l’oubliez, vous êtes perdu », affirme J. Djimrangar Dadnadji. Le Tchad avait été fait Territoire militaire des pays et protectorats du Tchad par un décret daté du 5 septembre 1905. Puis il a été érigé en colonie par un décret du 17 mars 1920 rattaché au Gouvernement général de l’Afrique Equatoriale française. Le référendum sur la Constitution de la Ve République française donne naissance à la République du Tchad en 1958.
C’est quoi une République ?
La République ou res publica en latin est la chose publique donc ce qui appartient à tout le monde. En politique, la République est un régime qui n’est pas héréditaire. De ces deux définitions, la République ne peut être appréhendée comme une entité dans laquelle un groupe considéré organisé partage des traits communs. La République est une organisation guidée par les principes de la souveraineté, de la laïcité et l’unité. Ces caractéristiques sont reprises dans la Constitution tchadienne du 4 mai 2018 instituant la IV e République : « Le Tchad est une République souveraine, indépendante, laïque, sociale, une et indivisible, fondée sur les principes de la démocratie, le règne de la loi et de la justice », dispose l’article 1er. Intéressons-nous aux principes de la laïcité et de la démocratie.
« La laïcité se définit comme une politique de neutralité », selon Sali Abakar, enseignant chercheur à l’école normale supérieure de N’Djamena. Malheureusement au Tchad, le constat traduit la difficile appréhension de la notion de laïcité. « On confond la laïcité positive et la laïcité négative », regrette le juriste et politologue Abdelkrim Marcelin. Pour lui, la laïcité négative est le fait de s’identifier à un groupe religieux au détriment des autres. Alors que la laïcité positive est le fait de voir toutes les religions comme miennes, lorsqu’on est dans un espace public. Même au niveau politique, le principe de la laïcité semble être implicitement violé. « En 1958, le Tchad est un Etat laïc. Mais 60 ans après, le Forum national inclusif a mis une croix sur la laïcité de l’Etat en instituant le serment confessionnel. Ce serment est une exclusion », déplore Dadnadji. Exclusion parce que la religion chrétienne interdit à ses pratiquants de jurer au nom de leur Dieu.
La démocratie est un régime dans lequel le pouvoir appartient au peuple qui l’exerce directement par voie référendaire ou indirectement par l’intermédiaire des élus. Il est guidé par les principes des libertés, du respect des droits de l’Homme, du règne de la loi et de la justice. Le Tchad, depuis 1990, vit à l’ère de la démocratie. Même si les institutions sont là, les principes sont consacrés dans la loi fondamentale, l’exercice reste à soupeser. Pour Dadnadji, la démocratie est une délégation des pouvoirs. « Ce sont des gens qui y habitent qui font le renoncement de leurs droits en partie pour former l’entité qu’on appelle République qui fonctionne de manière permanente. Je vous ai donné l’exemple de Deby qui dit j’ai pris le pouvoir à terre, il est hors sujet. Le pouvoir n’est jamais à terre. Le peuple n’est jamais à terre », martèle Dadnadji.
60 ans d’existence en tant que République, le Tchad a une histoire que ce soit politique, sociale, très riche. Plusieurs régimes se sont succédé dans ce pays. Les régimes de Tombalbaye, Malloum, Goukouni, Habré et Deby ont présidé à la destinée du Tchad. Et l’histoire continue son cours. Mais Dadnadji regrette une chose : « Ce qui est choquant c’est qu’on se fout pas mal de l’histoire. Est-ce l’ignorance ou la mauvaise fois je ne sais pas. L’histoire ne nous enseigne pas. »