Dynamiser l’économie du lac Tchad: la solution paraît simple pour empêcher Boko Haram de s’implanter à long terme dans la région. C’était le centre des discussions entre experts et politiciens réunis le 09 Mai à Maiduguri.
L’insurrection qui a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés depuis 2009 s’est propagée au fil des années tout autour de ce lac immense, une région négligée depuis des décennies par les quatre pays qui l’entourent: le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger.
La réponse militaire fut commune, à travers la mise en place d’une Force Multinationale Mixte en 2015. Mais pour la première fois, les onze gouverneurs des quatre pays concernés, accompagnés d’agences locales et internationales de la région se sont mis d’accord pour dire que la lutte armée seule n’arrêterait pas le conflit.
« Le problème de Boko Haram a ses racines dans le dessèchement du lac, qui a laissé des millions de personnes sans aucun moyen de subsistance », a déclaré Mamman Nuhu, secrétaire exécutif de la Commission de développement du bassin du lac Tchad.
« La pauvreté n’a pas de frontières, les populations autour du lac Tchad sont confrontées aux mêmes défis », a-t-il déclaré à l’AFP en marge du forum.
« Une fois le lac restauré, le problème de Boko Haram sera définitivement réglé », selon Mohamed Ibn Chambas, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel.
‘Terrain de recrutement’
En effet l’assèchement du lac a engendré une diminution de 90% de sa surface ces 40 dernières années et est la cause principale selon lui, de l’appauvrissement de millions de pêcheurs et agriculteurs qui dépendent de ses eaux douces et de son arrière-pays fertile.
« Le manque d’opportunités d’emploi pour les jeunes a fait de la région un terrain de recrutement fertile pour les terroristes », a-t-il ajouté.
Le changement climatique peut certes être mis en cause, mais il n’est venu qu’aggraver un chômage endémique, le manque d’accès à l’éducation, la mauvaise gouvernance et la corruption: autant de facteurs qui ont attisés la colère des populations, transformée dans le contexte mondial en radicalisation religieuse.
Le lac Tchad a également toujours été un carrefour aux frontières poreuses où sévissent toute sorte de groupes armés qui organisent des trafics illicites.
La frustration, la grande pauvreté généralisée, et l’absence d’appareil de sécurité étatique étaient du pain bénit pour Boko Haram qui promet des récompenses financières et la possibilité de se marier sans payer de dot à ses combattants.
Sauver le lac
Aujourd’hui, après neuf années de conflit, la situation semble inextricable. En février, des émissaires du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria se sont rencontrés à Abuja pour discuter avec des experts internationaux et des agences de développement de la façon de sauver le lac.
L’un des projets évoqués était la relance d’un projet de construction d’un canal de 2.600 kilomètres (1.600 miles) à partir de la République démocratique du Congo à travers la République centrafricaine pour remplir le bassin.
Mais ce projet, considéré comme utopique par beaucoup, nécessite que la RDC accepte de dérouter une part de ses eaux et de pouvoir lever des fonds d’investissements estimés à 14 milliards de dollars, dans des pays où la corruption est endémique.
« Nous n’avons pas l’argent pour exécuter ce projet, c’est une tâche énorme qui prendra des années à accomplir », a ajouté Bakabe Mahamadou, gouverneur de la région de Diffa (Niger).
Ainsi un problème majeur se pose: qui souhaiterait investir dans une région aussi volatile?
A l’ouverture de la conférence mardi 8 Mai, deux femmes kamikazes ont été tuées dans une tentative ratée d’attaque contre une mosquée de Maiduguri.
Le commandant de la Force multinationale interarmées, le général Lucky Irabor, assure que des troupes sont en place sur les îles du lac Tchad, où les combattants se sont retranchés et semblent agir comme en territoire conquis.
« La situation sécuritaire dans le bassin du Lac Tchad s’améliore », a-t-il affirmé. « Il nous faut rétablir l’autorité civile dans la région pour apporter un développement concret à la population. »