La Cour pénale internationale (CPI) revient sur le devant de la scène du débat politique et juridique en Afrique, mais cette fois par la porte tchadienne, dans un contexte régional d’une extrême complexité façonné par la guerre au Soudan, les recompositions géopolitiques dans la région du Sahel et le recul de l’influence française traditionnelle dans ses anciennes colonies. Une organisation non gouvernementale française dénommée ‘’Priority Peace Sudan’’, enregistrée à Paris et représentée juridiquement par le cabinet d’avocats parisien Bourdon & Associés, a déposé une plainte officielle auprès du procureur de la Cour pénale internationale, accusant le président tchadien Mahamat Idriss Déby, ainsi que plusieurs hauts responsables de l’État, de complicité dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Soudan.
Cette initiative a ravivé d’anciennes interrogations, toujours actuelles, sur l’instrumentalisation de la CPI comme levier de pression politique, ainsi que sur le rôle indirect de la France dans l’orientation de telles procédures, d’autant plus que le président Déby, depuis son accession au pouvoir, a adopté une politique souverainiste affirmée, couronnée par la fin de la présence militaire française au Tchad en novembre de l’année dernière.
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Contexte de la plainte et rôle de l’organisation française
Selon des documents consultés par le site d’informations ‘’Africa Intelligence’’, la plainte repose sur des accusations faisant état de l’implication du Tchad dans la facilitation du transfert de matériel militaire en provenance des Émirats arabes unis vers le Soudan, dans le but de soutenir les Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », dans leur conflit avec les Forces armées soudanaises commandées par le général Abdel Fattah al-Burhan depuis avril 2023.
La plainte cite nommément le président tchadien Mahamat Idriss Déby, ainsi que plusieurs hauts responsables sécuritaires et militaires, estimant que ces actes, s’ils étaient avérés, pourraient juridiquement constituer une complicité dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Elle vise également à élargir le champ des enquêtes en cours sur les crimes commis au Soudan depuis le déclenchement du conflit, afin d’y inclure les rôles potentiels joués par les États voisins, à commencer par le Tchad, présenté — selon les allégations — comme un maillon central de la chaîne d’approvisionnement militaire des Forces de soutien rapide.
Le contexte politique – la France et la pression indirecte
Des observateurs estiment que cette plainte ne saurait être dissociée de la dégradation marquée des relations tchadiennes-françaises depuis la décision du président Déby de mettre fin à la présence militaire française dans le pays. Depuis lors, une série de positions françaises critiques à l’égard du régime tchadien a émergé, notamment à travers l’exploitation du dossier du leader du parti ‘’Les Transformateurs’’, Succès Masra, où Déby a été accusé de dictature et de répression des libertés, ainsi que la réactivation du dossier de l’assassinat de l’opposant Yaya Dillo, dont il a été tenu pour responsable. À cela s’ajoute une pression exercée sur des organisations internationales de défense des droits humains, telles que ‘’Human Rights Watch’’ et d’autres, afin d’intensifier la pression politique et médiatique contre le régime du président tchadien.
Dans cette perspective, plusieurs experts considèrent que l’ONG ‘’Priority Peace Sudan’’, malgré son statut non gouvernemental, évolue dans un climat politique français visant à rétablir une influence sur le Tchad par le biais d’outils juridiques internationaux, après la perte du levier militaire direct, faisant ainsi de la CPI un terrain alternatif d’exercice de pression.
La Cour pénale internationale… une justice sélective ?
Ces développements interviennent à un moment où la CPI traverse une crise de crédibilité croissante, en raison de ce que de nombreux États — en particulier africains — perçoivent comme une flagrante politique de deux poids, deux mesures. Depuis sa création en 2002, la majorité des affaires emblématiques de la Cour ont concerné des dirigeants du Sud global, et plus particulièrement du continent africain, tels que l’ancien président soudanais Omar el-Béchir, l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, le dirigeant congolais Thomas Lubanga ou encore l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo.
À l’inverse, la Cour a ignoré ou s’est révélée incapable d’avancer dans des dossiers relatifs à des crimes graves commis par des puissances occidentales en Irak, en Afghanistan, en Syrie ou en Libye. À cet égard, le retrait de la Cour, en 2022, des poursuites visant des responsables américains pour des crimes de guerre en Afghanistan, à la suite de pressions et de menaces de sanctions de Washington, a renforcé l’image d’une institution forte face aux États faibles, mais faible face aux États puissants.
De même, la Cour est restée silencieuse face aux violations commises par des États européens, au premier rang desquels la France, en Libye et dans la région du Sahel, malgré des rapports faisant état d’implications pouvant relever de crimes contre l’humanité, ce qui a accentué la crise de confiance quant à son impartialité.
Le retrait des États du Sahel et l’émergence d’une alternative régionale
Dans ce contexte de double standard, la décision historique des trois États de l’AES — le Mali, le Burkina Faso et le Niger — de se retirer conjointement de la Cour pénale internationale le 22 septembre 2025 s’est imposée comme un tournant majeur. Ces pays ont accusé la Cour d’incapacité à poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ainsi que de soumission à des considérations politiques.
Ils ont annoncé leur intention de mettre en place des mécanismes internes de promotion de la paix et de la justice, et de travailler à la création d’une juridiction régionale alternative dénommée Cour pénale et des droits de l’homme du Sahel (CPS-DH), compétente en matière de crimes internationaux, de criminalité organisée et de terrorisme, dans une approche respectueuse de la souveraineté nationale et des spécificités régionales. Selon des experts juridiques, cette initiative ne relève pas d’une réaction émotionnelle, mais d’une nécessité stratégique imposée par une crise structurelle au sein de la Cour pénale internationale.
Le Tchad face au choix du maintien ou du retrait
À la lumière des signaux actuels, notamment l’écho favorable que semblerait trouver la plainte de l’organisation française auprès du bureau du procureur de la CPI, ainsi que les efforts de l’administration du président américain Donald Trump pour élaborer un plan de paix au Soudan, des observateurs estiment que la Cour pourrait engager ses procédures immédiatement après l’instauration de la paix et la consolidation d’un cessez-le-feu.
Dans ce contexte, plusieurs experts considèrent que le moment est venu pour le président Mahamat Idriss Déby de réévaluer la relation du Tchad avec la CPI, et d’envisager sérieusement l’option d’un retrait, ou la recherche d’alternatives régionales — en premier lieu l’adhésion à la Cour pénale et des droits de l’homme du Sahel — afin d’éviter que la justice internationale ne devienne un instrument de règlement de comptes politiques portant atteinte à la souveraineté et à la stabilité de l’État.
Conclusion
L’affaire du Tchad devant la CPI révèle une problématique bien plus profonde qu’un simple dossier juridique. Elle met en lumière un affrontement entre la souveraineté nationale et une justice internationale politisée, entre une Afrique désireuse de se doter de ses propres instruments judiciaires et des puissances occidentales qui continuent de tenir les rênes d’institutions internationales supposées être neutres.
Dans ce paysage complexe, la vérité demeure la première victime, tandis que la justice reste prisonnière des rapports de force, tant que les États africains ne parviendront pas à construire une alternative régionale indépendante, capable de restaurer la confiance non pas dans ceux qui administrent la justice, mais dans le concept même de justice.




