Tchad : quand la prédation d’État étrangle l’économie nationale

Le bannissement des ressortissants tchadiens par Washington, rendu public en mai 2025, n’est que la partie émergée d’un naufrage politique…

Le bannissement des ressortissants tchadiens par Washington, rendu public en mai 2025, n’est que la partie émergée d’un naufrage politique et financier : derrière l’arsenal répressif du général Mahamat Idriss Déby se profile une hémorragie économique qui prive le pays d’investisseurs, de devises et, in fine, d’avenir.

 

Depuis la mort, en avril 2021, du maréchal Idriss Déby Itno et la transition aussi brutale qu’opaque qui a propulsé son fils Mahamat Idriss Déby (« Kaka ») à la tête de l’État, le Tchad s’enfonce dans un double abîme : une répression politique sans frein et une prédation économique qui saigne les finances publiques, décourage les investisseurs et étrangle le quotidien des citoyens.

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La dérive commence avec le « jeudi noir » du 20 octobre 2022 : alors que N’Djamena et plusieurs grandes villes exigent des élections promises, l’armée tire à balles réelles. Human Rights Watch dénombre au moins 50 morts et plus de 500 arrestations ; des dizaines de manifestants sont déportés à Koro Toro, 600 km plus loin, contraints de marcher dans le désert et de boire leur urine pour survivre, surveillés, fait invraisemblable, par des gardiens affiliés à Boko Haram.

Impunité politique et réseaux d’armement

Le cycle n’a fait que s’amplifier depuis. Le 28 février 2024, le chef d’opposition Yaya Dillo est abattu lors d’un assaut militaire contre son parti. Son successeur Robert Gam disparaît huit mois, puis réapparaît en juin 2025 sans explications. En mai 2025, l’ex-Premier ministre Succès Masra est arrêté à l’aube, un an après une présidentielle 2024 déjà entachée de fraudes. La presse paie elle aussi son tribut : en mars 2025, le correspondant de RFI, Olivier Mbaindinguim Monodji, est jeté en prison pour avoir enquêté sur la présence russe et la prolifération d’armes.

Car le Tchad est devenu plaque tournante. L’aéroport d’Amdjarass, fief familial de la dynastie Déby, sert de hub aux Émirats arabes unis pour acheminer, via Abu Dhabi, des cargaisons chinoises destinées aux forces du général soudanais Hemedti, en contournant les sanctions internationales. Cette géopolitique clandestine aggrave l’isolement diplomatique du pays : la candidature d’Abbas Mahamat Tolli à la tête de la Banque africaine de développement n’a recueilli que 0,51 % des voix, et Washington a placé le pays sur la liste noire de douze nations interdites de visa.

Corruption institutionnalisée et faillite économique

Sur le front intérieur, la mauvaise gouvernance se mesure à la hauteur des milliards gaspillés. Le parquet national financier français ausculte un patrimoine parisien de 30 millions d’euros détenu par la famille Déby, pendant que le chef de l’État est soupçonné d’avoir détourné 900 000 € pour des emplettes privées. Son proche Idriss Youssouf Boy, déjà « pardonné » après avoir subtilisé 19,82 millions d’euros, vient d’être condamné pour un nouveau trou de 16,77 millions. Même la Cour suprême, dénoncée par un collectif d’avocats en avril 2024 pour ses décisions « hors procédure », est gangrenée.

Cette prédation a un coût sonnant et trébuchant : revenu mensuel moyen, 53 € ; inflation à deux chiffres ; services publics exsangues. Depuis que l’ancien Premier ministre Succès Masra, qui rassurait les bailleurs et les investisseurs internationaux, a été écarté du pouvoir à la faveur des élections présidentielles contestées, ces derniers boudent le pays. Il faut dire que le Tchad fait face à de graves accusations de harcèlement des entreprises étrangères. L’affaire Glencore, impliquant un prêt de 1,4 milliard de dollars en 2014, continue de soulever des soupçons de malversations, documentés notamment par un rapport de SwissAid. Plus récemment, la société N-Soft a remporté un litige contre l’État tchadien devant la cour d’appel de Paris, et réclame 25 millions d’euros. En 2023, la junior pétrolière Savannah Energy a subi une nationalisation qu’elle conteste judiciairement et en arbitrage. Nul besoin d’ajouter que, depuis, aucun opérateur étranger d’envergure n’ose s’aventurer au Tchad.

À l’étranger comme à l’intérieur, le message est clair : tant que persistera l’alliance toxique entre répression policière et captation privée des richesses, le Tchad restera prisonnier d’un cercle vicieux violence-isolement-paupérisation que même l’or noir ne suffit plus à masquer. La communauté internationale et les Tchadiens attendent des réformes urgentes pour restaurer la confiance et instaurer une véritable démocratie.

 

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