Depuis presque quatre années, les victimes de Hissène Habré attendent réparation suite à son procès et à celui de ses complices qui se sont tenus à Ndjamena en 2015 et à Dakar en 2017. Depuis, rien n’a bougé et Reed Brody, le conseiller juridique de Human Rights Watch, était cette semaine au Sommet de l’Union africaine pour tenter de débloquer ce dossier.
Vous êtes venu à Addis-Abeba au sommet de l’Union africaine pour évoquer le dossier de l’indemnisation des victimes d’Hissène Habré. Où en est actuellement la procédure ?
Vous savez que les victimes d’Hissène Habré ont lutté pendant vingt-cinq ans pour traduire en justice et faire condamner Hissène Habré à Dakar et ses complices au Tchad. Ces victimes se sont vues accorder presque 200 millions d’euros par les deux tribunaux. Jusqu’à ce jour, elles n’ont pas reçu un centime de réparation. Donc, nous sommes là avec Clément Abaïfouta, le président de l’Association des victimes, qui vient ce soir pour demander que cela avance plus vite des deux côtés.
Deux cents millions d’euros, c’est pour toutes les victimes sur les deux procédures ?
Pour être exact, le verdict du Tchad, c’est 75 milliards de francs CFA. La moitié, payée par des personnes condamnées, et l’autre moitié par l’État. Le verdict des Chambres africaines extraordinaires à Dakar, c’est 82 milliards de francs CFA contre Hissène Habré. Avec la mise en place d’un fonds de l’Union africaine qui est mandaté, à la fois pour chercher, identifier et saisir les biens d’Hissène Habré, et pour trouver des sources, des contributions volontaires de financements. Donc, en théorie, les victimes sont milliardaires, en pratique, elles sont dans le désarroi et la pauvreté totale.
Et comment peut-on expliquer que deux procédures, dans deux pays différents, gérées par des organismes différents n’avancent pas ?
C’est une question de volonté politique. Je pense que maintenant l’Union africaine – et le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, l’a annoncé juste avant le début du sommet – pousse à ce que ce fonds soit opérationnel dans les mois qui viennent. Cela ne veut pas dire qu’il y aura de l’argent pour les victimes tout de suite.
Mais ce fonds va pouvoir commencer ses activités ?
Il commencera à travailler et nous sommes très encouragés. Nous voyons dans les faits des missions qui commencent à se faire entre Addis-Abeba et le Tchad. Maintenant, tout va dépendre de la mise en place et de la fiabilité, la transparence et aussi l’imagination de chacun. Parce que, les fonds ne vont pas arriver, il faut aller les chercher, soit en traçant les avoirs, soit en frappant à toutes les portes.
Par contre, le gouvernement tchadien, en cinq ans, n’a pas fait le moindre geste. Le gouvernement a organisé à son crédit, en son honneur, un procès. Vingt-et-un complices de Hissène Habré ont été condamnés et où l’État, lui-même, a été déclaré civilement responsable. L’État a été sommé d’ériger un monument aux morts, de créer un musée à la mémoire des victimes, et surtout, de mettre en place un système pour les réparations. Mais en cinq ans : il n’y a rien eu.
Que ce soit l’argent de l’État ou l’argent des complices ? Rien n’a été fait ?
Rien n’a été fait. Le procureur général n’a pas saisi les biens. Tous les complices sont déjà dehors. Je ne pense pas que l’État ait besoin de donner les 75 milliards ou la moitié, mais au moins quelque chose pour ces victimes ! Vous imaginez des femmes, violées par Hissène Habré, envoyées comme esclaves sexuelles aux soldats d’Hissène Habré, qui ont osé briser le silence, venir à Dakar, témoigner à la télévision et qui sont jetées en pâture, comme ça, sans la moindre récompense ! Je pense que le gouvernement tchadien doit faire au moins un geste pour indemniser ces victimes.
Et vous avez l’impression, par exemple avec les discussions que vous avez ici, que cela peut avancer ?
On est là pour rappeler tout cela au gouvernement, à l’échelle internationale, et on le fera autant qu’il faudra. Le gouvernement tchadien n’aura pas de répit, tant qu’il n’aura pas commencé à indemniser les victimes.
Qu’est-ce que vous dites aujourd’hui aux victimes, qui, depuis des dizaines d’années, se battent pour faire reconnaître, pour se faire indemniser ?
Mais c’est difficile ! Ce sont des personnes que j’ai côtoyées, des amis, et c’est écœurant pour moi de voir leur situation. Toutes les semaines, le dimanche soir, elles dorment dans le local de l’Association des victimes pour se réveiller le matin et aller faire des manifestations. Depuis un an, elles battent le pavé. Ce sont des héros. Imaginez que c’est grâce à leur action que deux choses historiques ont été faites. Un dictateur a été jugé. C’est la première fois dans l’histoire que les victimes s’organisent et font juger un dictateur dans un pays, autre que le sien. Le procès au Tchad est tout aussi historique. Que vingt-et-un agents de l’ancien gouvernement soient condamnés pour torture et assassinat, cela n’arrive pas tous les jours, dans des pays comme le Tchad. C’est grâce à leur ténacité, leur persévérance. On peut dire qu’elles ont fait le boulot de la justice internationale.