Affaire Bonheur Mateyan Manayel : l’impunité des militaires au Tchad

Le collectif des avocats du jeune Bonheur Manayel, conducteur de moto-taxi tué mi-novembre dernier, dénonce l’impunité dont font, selon eux, l’objet les auteurs de ce meurtre.

En dépit du communiqué du parquet annonçant l’interpellation de quatre militaires à la suite de la mort, le 4 novembre dernier, de Bonheur Mateyan Manayel, le jeune chauffeur de moto-taxi tué sur le passage du convoi du président de l’Assemblée nationale, ceux-ci sont toujours libres.

Et ce, malgré les tentatives de manifestation des jeunes pour exiger leur arrestation. Une situation qui soulève à nouveau la question de l’impunité dont jouissent les militaires, policiers et gendarmes, coupables des bavures ou crime au Tchad.

Fausse interpellation ?

Deux jours après la mort de ce jeune, le parquet de N’Djamena a annoncé avoir interpellé les éléments chargés de la protection du président de l’Assemblée nationale. Tous sont accusés de « meurtre et de complicité de meurtre ».

Cette information ne semble pas tout à fait vraie selon l’un des avocats de la famille de la victime, Salomon Nodjitoloum.

« Nous nous sommes rapprochés du procureur de la République pour demander l’issue de la procédure. Mais tout ce que nous avons pu obtenir, que c’est le premier substitut du procureur qui gère le dossier. Nous nous sommes rapprochés également de la section nationale de recherche judiciaire (SNRJ) et là aussi on ne nous a pas répondu. Tout ce que nous avons pu obtenir, c’est la liste des quatre éléments dont deux policiers, un gendarme et un militaire membre de la Garde nationale et nomade du Tchad (GNT). Et donc c’est à ce moment qu’on a appris que les quatre éléments sont libres de leurs mouvements. Ils sont toujours en train de protéger le président de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas normal », soutient-il.

D’autres victimes de bavures

Bonheur Manayel n’est pas la seule victime des forces de l’ordre. Les Tchadiens se souviennent encore du jeune  Richard Mbaiguedem  mort après huit jours de détention dans un commissariat en mai dernier ou encore du jeune Abachou Ousmane froidement abattu lors d’une manifestation contre le viol d’une lycéenne en février 2017. Ces crimes sont restés  jusque-là impunis.

« La justice qui est censé être indépendante et jouer pleinement son rôle de régulateur dans la société se trouve être prise en otage par des hommes gradés, des généraux qui sont plus puissants que les magistrats et qui leur intiment pratiquement des ordres dans le cadre de règlement de certaines affaires. C’est une situation regrettable par ce que la justice c’est le dernier rempart pour le citoyen faible face aux attitudes du plus fort. Mais si aujourd’hui la justice est aux ordres du plus fort, mais le plus faible sera acculé. Et quand un homme est acculé c’est très  dangereux », affirme Frédéric Nanadjingué, avocat au barreau du Tchad.

La DW a tenté sans succès de recueillir la réaction du ministre tchadien de la Justice, Djimet Arabi. Le premier substitut du procureur, Gérard Nédéou contacté n’a pas également souhaité accorder une interview sur le sujet.

Justice pour Richard Mbaïguedem

Au cours d’une conférence de presse tenu  samedi (16 novembre) à N’Djaména, le collectif des avocats de la famille de Richard Mbaidiguim, décédé en mai, suite à des actes de torture dans un commissariat de police de la capitale tchadienne, dénoncent un déni de justice. Les avocats interpellent les autorités à rétablir la famille dans ses droits.

Après la mort de Richard Mbaïguedem le 08 mai 2019, une plainte a été déposée pour « détention arbitraire et torture », informe l’un des avocats de sa famille, Frédéric Nanadjingué. « Le jeune homme de 19 ans a fait l’objet d’une détention dans les locaux du commissariat du 6e arrondissement de N’Djamena suite à une bagarre avec un jeune de sa tranche d’âge », rappelle-t-il.

Tchad: le gouvernement règlement la pratique de la diya

Une circulaire interministérielle a été signée, le 4 octobre à Abéché, pour réglementer la pratique de la diya, compensation financière versée par l’auteur d’un crime à la famille de la victime.

Cette décision des autorités a été prise lors de la conférence des gouverneurs. Si les autorités entendent lutter contre l’impunité qu’engendre cette pratique, le milieu judiciaire évoque plutôt un effet d’annonce.

« La diya ne doit pas remplacer les poursuites pénales », stipule la circulaire cosignée par trois ministres, qui fait office de rappel à l’ordre pour Djimet Arabi, ministre de la Justice. Car selon lui, cette compensation financière a entraîné ces dernières années une hausse de l’impunité au Tchad.

« Les gens comptabilisent les morts de part et d’autre, ils paient la diya. Ils entravent toute poursuite pénale contre l’auteur de ces meurtres. C’est une situation inacceptable, qui se fait contre les textes de la République. Et cette situation doit absolument cesser. »

Mise en application

De son côté, le milieu judiciaire salue cette décision. Mais questionne sa mise en application. Explications de maître Athanase Mbaigangnon, président de l’ordre des avocats du Tchad.

« La coutume est plus forte que la justice au Tchad. Pour un assassinat, on vous impose 100 chameaux, et que sais-je encore. Il est temps que l’exécutif cesse de s’immiscer dans le judiciaire et mette à la disposition des juges les ressources nécessaires, tant matérielles que financières, pour faire échec à cette pratique de la diya. »

Au Tchad, la diya représente souvent plusieurs millions de francs CFA. Des sommes considérables qui, selon les autorités, ont provoqué ces derniers mois une augmentation des représailles pour non-paiement de la compensation.