Voilà quelques jours déjà que l’armée nationale tchadienne mène une guerre contre les groupes rebelles se trouvant dans cette partie du pays.
C’est la discrétion qui s’impose au Tchad. Depuis la fin du mois d’août, pourtant, l’aviation tchadienne est engagée dans des missions offensives. Le but officiel ? En finir avec les orpailleurs, nombreux dans cette région connue pour ces mines artisanales d’extraction d’or.
Mais en réalité, N’Djamena s’en prend d’abord à un autre adversaire, les rebelles du Conseil de Commandement Militaire pour le Salut de la République (CCMSR). Et, selon plusieurs sources, sans grand discernement.
Campagnes de bombardements
« Les autorités tchadiennes ont justifié leur mobilisation en évoquant la lutte contre les orpailleurs. Lorsque nous avons constaté l’envoie de l’armée de l’air, on a compris qu’il s’agissait d’autre chose. N’Djamena veut en finir avec le CCMSR qui attire de plus en plus de monde dans ses rangs », explique un observateur des droits de l’homme dont le réseau s’étend dans tout le Tibesti.
L’armée tchadienne est passée à l’offensive à la suite d’une série d’attaques contre ses positions dans le nord du Tibesti menée par le CCMSR, dont celle de la localité de Kouri Bougri, le 11 août et de Tarbou, le 21 août.
L’un des rares Tchadiens de la société civile à oser s’exprimer publiquement sur ce sujet, Mahamat Nour Ahmat Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne pour la défense des droits de l’homme (CTDDH), explique à La Croix : « Les forces armées ont essuyé des pertes dans les attaques revendiquées par le CCMSR. Mais ces informations sont étouffées par le régime. En réponse N’Djamena a décidé de nettoyer la région du Tibesti de ces rebelles et de leur soutien en les bombardant. »
Raids aériens sur trois villages et un mariage
Selon cet ancien membre fondateur du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir dont il a démissionné en 1993, au moins trois villages ont été bombardés par l’aviation tchadienne. « Pour l’heure, N’Djamena s’appuie sur l’armée de l’air pour conduire ces raids. L’armée de terre est moins fiable car le théâtre est loin, les conditions de vie et de combats extrêmes et la détermination de la plupart des soldats peu fiable », analyse Mahamat Nour Ahmat Ibedou.
Impossible d’établir le bilan de ces opérations puisqu’elles se déroulent loin des caméras et des observateurs. Samedi 1er septembre, des villageois de Yebibu se rendant à un mariage ont été visés par l’aviation tchadienne. Cette fois, le raid a eu de la publicité.
Dans un communiqué publié le 3 septembre, le CCMSR explique que ce bombardement a visé « un cortège d’enfants, de femmes et d’hommes, des paisibles et joyeux citoyens se rendant à un mariage. Plusieurs filles et fils de Yebibu ont été blessés pour les uns et définitivement fauchés pour les autres. Des troupeaux de dromadaires ont été décimés par des éclats et fragments des bombes à fragmentation, des bombes achetées avec de l’argent du peuple tchadien pour être larguées sur des populations tchadiennes. »
Selon Mahamat Nour Ahmat, ce raid aurait coûté la vie à au moins six personnes. « Ces bombardements sont volontaires, ils visent à punir leurs soutiens supposés », juge-t-il.
Le nouveau souffle du CCMSR
Né en 2016 d’une scission d’un autre groupe rebelle, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact), le CCMSR opère dans le sud de la Libye où sont basés une dizaine de mouvements de la rébellion tchadienne, depuis l’échec de leur offensive sur Ndjamena, en février 2008 (grâce à une robuste intervention de l’armée française).
Poursuivi par les hommes du maréchal Haftar – le chef libyen est proche d’Idriss Deby – le CCMSR a repris pied dans le Tibesti. Pendant ces années libyennes, il s’est réorganisé, réarmé et a développé des alliances avec d’autres groupes dont des islamistes opposants au maréchal Haftar (les brigades de défense de Benghazi).
« Le CCMSR attire à lui, tous les dessus du régime tchadien et les jeunes sans avenir. Il n’a pas les moyens de renverser Idriss Deby, mais il est en train de gagner en puissance », souligne l’observateur des droits de l’homme.
Ses attaques du mois d’août auraient entraîné des défections dans l’armée tchadienne et lui auraient ouvert la route pour les deux villes de Wour et de Fada.