Depuis quelques jours, plusieurs sites d’information, dont ‘’Jeune Afrique’’, relaient des informations selon lesquelles le président tchadien, le maréchal Mahamat Idriss Déby Itno, envisagerait de décréter une grâce présidentielle générale en faveur des prisonniers politiques. Cette mesure, si elle venait à être confirmée, inclurait deux figures parmi les plus controversées de la scène politique et sécuritaire tchadienne : Succès Masra, ancien Premier ministre et leader du parti ‘’Les Transformateurs’’, arrêté en mai dernier et condamné à 20 ans de prison pour diffusion de messages à caractère haineux et racials, incitation à la rébellion, complicité de meurtre et participation à des violences ayant fait 76 morts à Mandakao ; et l’ex-ministre et directeur de cabinet du président, le général Idriss Youssouf Boy, arrêté en avril et condamné à sept ans de prison pour détournement d’environ 9 milliards de francs CFA (16 millions de dollars) destinés à des projets d’infrastructures dans l’est du pays.
À ce stade, aucune confirmation officielle n’a été apportée par les autorités tchadiennes, et aucune communication formelle du gouvernement n’est venue valider ou infirmer ces informations. Toutefois, la simple évocation d’un tel scénario suscite de profondes inquiétudes quant à ses répercussions sur la stabilité intérieure, la cohésion sociale et la crédibilité diplomatique du Tchad.
Une décision en contradiction avec les efforts de pacification interne
Depuis son arrivée au pouvoir, le président Mahamat Idriss Déby a engagé une politique active de médiation et de réconciliation nationale, visant à désamorcer les foyers de tension et à prévenir les conflits armés internes. Ces efforts se sont récemment matérialisés par plusieurs accords de paix jugés exemplaires.
En septembre 2025, un accord a été signé à Tibesti entre le gouvernement et les comités d’autodéfense, mettant fin aux violences liées à l’exploitation des mines d’or. Il prévoit l’amnistie des combattants, leur réintégration encadrée au sein des forces de défense et de sécurité, ainsi que l’interdiction de tout recours à la violence armée. D’autres accords conclus à Tougui, Bardaï et Mandakao ont permis de restaurer le dialogue entre communautés longtemps opposées, illustrant l’efficacité de la diplomatie intérieure tchadienne.
Dans ce contexte, une grâce présidentielle accordée à des acteurs perçus comme responsables de violences meurtrières ou de tentatives de déstabilisation serait interprétée comme une remise en cause directe de ces acquis fragiles, au risque de raviver les rancœurs communautaires.
Le cas Idriss Youssouf Boy : un risque sécuritaire et facteur d’instabilité pour le pays
Le dossier du général Idriss Youssouf Boy demeure sensible en raison de son statut d’ancien proche collaborateur du chef de l’État et des accusations de détournement de fonds publics qui ont conduit à sa condamnation. Son arrestation avait été perçue comme un signal fort en faveur de la lutte contre l’impunité au sein de l’appareil d’État.
Par ailleurs, la remise en liberté d’une figure accusée d’avoir détourné des fonds publics risquerait d’enflammer l’opinion publique tchadienne, déjà sensible aux questions de gouvernance et de justice sociale, avec des conséquences imprévisibles pour la stabilité du pays.
Succès Masra, un facteur de déstabilisation politique durable
Aux yeux de nombreux observateurs, Succès Masra représente une menace politique d’une autre nature, mais tout aussi sérieuse. Il est accusé d’avoir entretenu des liens avec des acteurs étrangers dans le but de provoquer une rupture violente de l’ordre constitutionnel, notamment lors des événements du 20 octobre 2022, qui ont fait des dizaines de morts et de blessés parmi les manifestants.
Après ces violences, Masra a quitté précipitamment le pays pour les États-Unis, où il aurait bénéficié de l’appui de la représentation diplomatique américaine à N’Djamena pour obtenir l’asile politique. Il y a vécu près d’un an dans des conditions confortables, avant de réapparaître sur la scène politique tchadienne.
Plusieurs analystes estiment que les appels répétés de certaines organisations européennes et de gouvernements occidentaux, notamment la France, en faveur de sa libération, s’inscrivent dans une stratégie visant à faire pression sur le régime Déby, lequel a récemment affirmé sa souveraineté en mettant fin à la présence militaire française et américaine sur son sol.
Des extraits ayant fuité de son ouvrage « Chemin des durs vers la terre promise », rédigé quarante jours après sa défaite à la dernière élection présidentielle, contiennent des attaques virulentes contre le chef de l’État, ainsi que des révélations sur les soutiens politiques, financiers et diplomatiques occidentaux dont il aurait bénéficié depuis octobre 2022 jusqu’à la campagne électorale, un contenu potentiellement explosif pour les autorités tchadiennes.
Conclusion
En définitive, si l’hypothèse d’une grâce présidentielle générale venait à se concrétiser, elle constituerait un pari extrêmement risqué pour le président Mahamat Idriss Déby. En réhabilitant des figures associées à la violence, à la corruption et aux ingérences étrangères, le pouvoir pourrait compromettre les progrès réalisés en matière de stabilité interne, de cohésion communautaire et de crédibilité diplomatique régionale.
Alors que le Tchad s’est progressivement imposé comme un acteur central de la paix au Sahel et au niveau régionale, toute décision perçue comme contradictoire avec cette ligne stratégique pourrait raviver les tensions internes et ouvrir la voie à de nouvelles tentatives de déstabilisation.
